vendredi 24 mai 2019

Guide de l'Amateur de Thé Pu'er

Les éditions You Feng sont sans doute très connues des amateurs de livres s'intéressant à l'Asie, et à la Chine en particulier sur divers aspects. Le catalogue de cet éditeur est fourni de livres vraiment intéressants et de qualité, en tout cas pour ceux que j'ai achetés.

Les deux boutiques de l'Editeur (sises à Paris) proposent également à la vente des livres d'autres éditeurs, des accessoires de calligraphie, et sans doute d'autres choses.

C'est en allant dans la boutique sise au 13ème arrondissement que j'avais appris en octobre la sortie "très prochaine" d'un livre consacré au pu er, en français.

Je ne peux que louer l'éditeur de proposer un tel livre, sachant que la littérature sur le sujet n'est pas très développée, à moins de lire le chinois.

J'ai malheureusement dû attendre quelques mois, la sortie du livre a pris pas mal de retard ...

Sur l'aspect forme, on ne peut que louer la qualité de la production du livre, mise en page très agréable (malgré un format un peu grand), une couverture cartonnée, texte aéré.


Sur le fond désormais, j'avoue que mon avis est désormais plus mitigé, après une lecture plus complète que le premier rapport que j'avais eu au tout début.


Tout d'abord, ce livre traite de nombreux aspects, et j'ai pu y lire nombre d'informations sur l'histoire, sur les terroirs, les annexes sont également passionnantes pour certaines, mais malheureusement l'aspect parfois grosssièrement faux de choses que je connais par ailleurs me fait douter des choses que j'ignore.

Je reste toujours positivement surpris par le nombre de points abordés, mais du coup, peut-être en raison d'un nombre de pages maximal imposées (ou des connaissances limitées des auteurs), des points qui me paraissent importants dans un livre destiné à des amateurs réels semblent absents, de sorte que, de mon point de vue, ce livre s'adresse davantage à celui qui souhaiterait découvrir le pu er. C'est ainsi que,  parmi de nombreux  exemples relevés, la  BaBaQingBing, ou de la firme ChangTai et notamment des YiChangHao, me semble relativement nécessaires sur un livre consacré à des amateurs. Sur ces points, comme sur beaucoup, les informations restent très parcellaires. Amusant par exemple, la tentative de description des saveurs des thés selon l'âge. Exercice d'autant plus difficile que les conditions de stockage y sont pour énormément. Toutefois, si par exemple page 94 on a un descriptif pour les thés datant de 1972 à 1997 (si-si une telle palette !!!), page précédente, la section "saveur des thés de cette époque" (années 50 à 72), cette section nous laisse sur notre faim la plus totale, se contentant de citer quelques thés de cette époque, sans même parler de leurs saveurs pourtant annoncés par le titre de la section ! En conclusion, sans naturellement vouloir prétendre à l'exhaustivité, il me semble que le livre, est resté très superficiel à des endroits majeurs, mais peut-être est-ce dû au volume des informations délivrées et des contraintes de nombre de pages.

Ce premier point est bien dommage car un réel effort de documentation a été fait, et j'ai appris plusieurs choses.

Comme nous allons désormais le voir sur quelques points, si ce livre contient pas mal d'informations nouvelles pour moi, il faut, comme à chaque fois, vérifier les informations lues.

Page 134, le caractère "ren" a son pinyin transformé en "gen". On est sans doute au niveau de la coquille orthographique, d'autant plus que ce caractère est l'un des premiers appris en chinois. Par acquis de conscience, je suis allé vérifié dans mon dictionnaire de chinois, certes non exhaustif, "gen" n'est pas répertorié dans le dictionnaire avec cette graphie. Là rien de dramatique, on est au niveau de la coquille. 

Un peu plus gênant, l'affirmation sur la date d'apparition du thé blanc vieilli indiquée page 37 me semble visiblement fausse, contredite par un de mes propres achats  d'une galette de thé blanc (achetée en 2004 et semblant sommeiller depuis quelques années chez le vendeur qui me l'avait explicitement vendu comme thé blanc vieilli). Par ailleurs, un de mes anciens étudiants m'avait offert une galette de YuYa de 2007, et comme pour celle achetée en 2004, je ne vois guère l'intérêt de compresser le blanc en galette si c'est pour le consommer sur sa fraicheur et donc un délai court. Il me semble donc que la compression récente de thés blancs en galette vise à le faire vieillir (qui va consommer sa galette de 357g de thé blanc dans les 4 mois de sa fraîcheur ?)

Par ailleurs, on sent l'influence de la participation de l'auteur à une certaine association (en l'occurrence animée par quelqu'un que je trouve très bien) ou certaines lectures, ce qui explique peut-être certaines piques contre certaines autres enseignes. On peut effectivement signaler, comme c'est indiqué page 77, que certains vendeurs peuvent vendre des shu récents et les faire passer pour des sheng de 15 ans, sans pour autant donner le lieu géographique. S'il me paraît essentiel d'éveiller l'attention du lecteur sur ce point,  je pense que l'auteur aurait dû s'absenir de désigner quasi-explicitement un lieu. Guider un amateur, c'est aussi lui donner des clés pour que de lui-même il apprenne de ses erreurs. En l'occurrence sur le lieu qui semble visé, si effectivement la question des dates a fait l'objet de débats, selon des personnes plus autorisées que moi et indépendantes du lieu, au moins sur certains thés il a été démontré qu'il s'agissait bien de vieux sheng, dont l'âge a pu être sur-estimé, mais en tout cas il ne s'agit pas de shu récent que l'on fait passer pour de vieux sheng. Page 85 on lit deux informations (dont la deuxième est, je crois, exacte, et pour la première je ne sais pas), qui fait indirectement de la publicité pour une enseigne que j'adore, sur le plan humain et sur plusieurs de ces thés, mais qui pour moi en pu er (l'objet du livre) n'est pas dans mon top (bien qu'un ait été exceptionnel, la plupart des autres achetés là bas ne m'ont guère convaincu). Pour moi on est à la limite de la publicité déguisée, pour une enseigne certes excellente (je le répète), mais pas nécessairement en pu er, et de toutes façons je trouve la publicité déguisée regrettable dans un livre qui se veut un guide généraliste et non un guide d'achat (le titre n'est pas "mes lieux préférés pour acheter/boire du pu er"). Il me semble que le rôle d'un guide généraliste n'est absolument pas de prendre position, et de ne citer que DEUX associations, et discrètement UNE seule boutique, et cela est un énorme point faible. Paradoxalement la seule boutique citée de manière cachée est celle, parmi les boutiques que je fréquente encore, qui m'a le moins convaincu en pu er. Les auteurs semblent ou feignent ignorer l'existence d'un forum francophone, de nombreux blogs, l'existence de boutiques réelles ou en ligne aux choix de pu er nettement plus vastes (pour certaines) ou de producteurs directs, qui si elles ont chacune leurs qualités et leurs défauts, ont, en tout cas dans le monde du pu er, une place nettement plus importante que ses sources associatives/boutique. Si j'ai bien vu, les trois seuls noms de personnes indiquées dans l'index font référence à ces deux associations et au propriétaire de la boutique, les grands noms du pu er sont tous absents !

D'ailleurs parlant de source, je me demande s'il n'y a pas de coquille sur sa deuxième lettre d'information (page 168), le site n'est déjà plus accessible, seulement quelques jours après la sortie du livre.


On lit parfois des trucs clairement plus grossiers, par exemple page 105 que la petite théière (à gong fu cha) doit faire au moins 100 cl, avec comme argument que les feuilles de pu er sont de grande taille. Je passe sur le fait que 100 cl ça fait 1 litre  et que personnellement je n'ai pas le souvenir d'avoir vu de gong fu cha avec des théières d'au moins 1 litre.  Mais même acceptant la coquille orthographique et en lisant 100 ml, on peut être surpris alors que des vendeurs réputés proposent aussi pour leurs pu er des théières plus petites,  et que même la boutique qui sert de référence à l'un des auteurs du livre vendait en les conseillant pour certains pu er des théières de 50 ml, en plus munie d'une filtre balle de golf ce qui ne favorise pas le déploiement des feuilles. Certains grades de feuilles, notamment de certains tuos ou carrés, des gong ting, se déploient sans problème dans des théières microscopiques, et une grande majorité des (environ) 400 références de pu er qui ont figuré dans la liste de thés en ma possession supporte sans aucun problème les infusions dans mes théières habituelles dont les volumes se situent entre 70 et 100 ml. Si l'auteur était sorti de ses uniques sources d'information, il aurait vu dans plusieurs boutiques internet ou physiques, que certaines théières de moins de 100ml sont recommandées par leurs vendeurs y compris pour le pu er, qui font souvent autorité dans le monde du pu er.

Ce 26 mai (update de l'article), je me fais un YunNan Yuan Bao, Da Du Gang de 1999 provenant de chez Houde (acheté il y a une petite dizaine d'années), dans ma théière de 80ml, les 4g de feuilles (dosage supérieur à celui recommandé sur leur livre page  107, on lit "un peu moins de 1,5 g pour 5 cl") on l'air de très bien se porter.

Je n'ai pas le temps d'écrire d'autres choses qui ont pu me surprendre, mais ces approximations, erreurs et surtout leur parti-pris sont bien dommage et pour moi c'est un réel point faible.

C'est d'autant plus dommage que les informations, certes à un niveau assez généraliste, sont de nature très variées (personnellement de nombreuses pages m'ont intéressé), de plus un tel livre a le mérite d'exister en français, et fait un peu baisser dans mon estime l'éditeur, qui est pourtant pour moi de grande qualité (si l'on excepte son site internet).

Pour autant, le livre m'apporte tout de même énormément d'informations -que je m'efforcerai du coup de recouper-, et je ne regrette absolument pas mon achat (je peux en l'occurrence le prêter à des connaissances qui découvrent le thé). A prendre donc avec ses faiblesses et un oeil critique, comme toujours.